lundi 25 avril 2016

Participez au nouveau projet photographique de Laurent Bourdelas: "Gueules de Gay-Lu"

« Gueules de Gay-Lu »
un projet photographique de Laurent Bourdelas


Joseph Rouffanche, ancien professeur de lettres, poète, dans son jardin à Landouge,
extrait de la série Poètes et autour (Printemps des poètes, Bfm de Limoges, 2001)


Vous êtes un(e) ancien(ne) élève (y compris de classe prépa), professeur ou employé(e) du lycée Gay-Lussac à Limoges ? Participez au projet « Gueules de Gay-Lu » !
De mai à fin novembre 2017, Laurent Bourdelas vous photographie à Limoges, en extérieur, dans le lieu de votre choix, avec un objet fétiche également choisi par vous. Les photographies seront mises en ligne à partir du 1er janvier 2017 – année du cent-cinquantenaire de l’Association des Anciens de Gay-Lu dont il est membre – et sans doute exposées dans le courant de l’année. Seront précisés avec la photographie : vos nom et prénom, date de naissance et années de présence au lycée.
Vous pouvez contacter dès maintenant : laurent.bourdelas@wanadoo.fr.

Historien et écrivain, Laurent Bourdelas photographie depuis les années 1980. Ses œuvres ont été exposées à diverses reprises. Il a commencé par des portraits et des nus, avant de s’orienter vers des « parcours » en des lieux précis, avec Rimbaud comme postulat: "j'aimais les peintures idiotes, dessus de porte, décors, toiles de saltimbanques, enseignes." Les photographies sont accompagnées par des textes de poètes et d’écrivains (Clancier, Bergounioux, Agniau, Siméon, etc.). Parmi ces séries : Poètes et autour (exposition itinérante, 2001), Rue d’enfance (Pavillon de l’Orangerie, Lire à Limoges, 2003) ; Le Chant d’Oradour (Palais du Luxembourg, 2007, label national Printemps des poètes) ; Saint-Yrieix à cœur (commande de la Ville de Saint-Yrieix-la-Perche, kakémonos place de la Nation, été 2010) ; Chez Moreau (travail sur un entrepôt de plomberie à Limoges, exposé in situ, 2016).
Certaines de ses photos sont en ligne, dans son espace photographique.



Et si vous souhaitez rejoindre les « anciens », n’hésitez pas : http://lesanciensdegaylu.com/

mercredi 20 avril 2016

Entreprise de plomberie Moreau, rue Aristide Briand, Limoges

          Nous habitâmes d’abord une location, au 35 de la rue du Bas Chinchauvaud, à Limoges, dans le quartier de la gare des Bénédictins, plus précisément derrière l’église Saint-Paul Saint-Louis. C’était encore comme un village, avec ses maisons du début du siècle, leurs petits jardins, une fontaine au coin de la rue. Non loin, rue Aristide Briand – l’ancienne route d’Ambazac chère à Georges-Emmanuel Clancier -, il y avait mon école (de garçons) : La Monnaie, par les fenêtres de laquelle on voyait partir et arriver les trains, ceux que conduisaient nos pères. Les filles, nous les croisions au catéchisme ou au patronage du mercredi après-midi, où le père Gaston Dutertre nous passait des films de Tintin grâce à un magnifique projecteur. A la messe du dimanche, nous étions rangés à gauche et les filles, à droite. Je me souviens d’un dimanche des rameaux où elles tenaient du buis décoré, étaient vêtues de blanc, des fleurs, peut-être, dans les cheveux. Souvent, je me perdais dans la contemplation des vitraux de Francis Chigot, le maître-verrier qui avait aussi réalisé ceux de la gare. Le temps passait doucement même si, en avril 1970, Paul McCartney avait annoncé la séparation des Beatles. Un camion nous livrait des boulets de charbon par le soupirail de la cave, notre épagneul breton batifolait dans le petit jardin orné de tulipes. Mon père avait récupéré les pierres des plates-bandes à la carrière de Chambon, près de la Briance, non loin de l’imposante forteresse médiévale de Châlucet, où nous allions parfois nous promener. Ma mère ne travaillait pas. Les matins, le boulanger en béret passait livrer ses clients dans une 4L bleue – le samedi, il m’offrait un croissant. La femme du tailleur, en face de chez nous, qui m’offrait des livres à Noël, se souvenait que, jadis, il y avait encore des jardins et des fermes, et que, de chez eux, on voyait jusqu’aux voies de chemin de fer. Plus haut, la rue de l’Industrie indiquait la vocation artisanale et industrielle du quartier. Pour aller à l’école, je tournais à gauche, puis empruntait la rue Saint-Augustin, qui abritait un impressionnant « centre de réinsertion » dont s’occupait un ancien prêtre-ouvrier, la rue Viollet-le-Duc qui longeait l’église sans clocher construite en 1907 pour évangéliser les cheminots, puis je marchais quelques mètres rue Aristide Briand pour rejoindre la cour de l’école, les salles de classe et leurs merveilles. En face d’elle, René Juge, le coiffeur qui nous peignait avec sa clope au bec, descendant d’une vieille famille de bouchers limougeauds, décorait sa vitrine avec un château-fort, des chevaliers en faisant le siège, devant lesquels nous ne manquions pas de nous agglutiner, admiratifs.
                A partir de mon entrée en sixième, en 1973, au collège Donzelot, non loin du quartier des Casseaux, j’ai changé d’itinéraire. C’était au moment même où le chanteur et guitariste chilien Victor Jara, arrêté, transféré au stade de Santiago, était torturé, au moment même où on lui brisait les mains que j’entreprenais avidement la lecture de L’Odyssée et l’étude du latin. Sur le poste de télévision, en noir et blanc, Dalida caressait ses longs cheveux blonds et Christophe chantait les Paradis perdus. Cette fois, en sortant, je tournais à droite, pour descendre la rue. Je passais devant un petit bar restaurant qui accueillait le midi les ouvriers de l’usine de métaux Perrier Dardanne dont les copeaux de fer ponctuaient le bas de la rue. Je continuais en passant devant un grand bâtiment sombre, sur ma gauche, qui n’était déjà plus une fonderie, sans doute, mais l’entreprise de plomberie Moreau, dont les voitures se mirent bientôt à encombrer les alentours. En face, derrière un mur, le parc et la maison cubique, années 20 sans doute, des propriétaires de l’usine. On m’a dit depuis que ces parcelles s’appelaient autrefois la Fondalie – peut-être y avait-il là une fontaine ? Ce n’est pas certain. Je continuais mon chemin en passant devant la magnifique gare des Bénédictins, dont je me sentais légitimement un peu le propriétaire, puisque mon père était cheminot. D’ailleurs, j’avais une carte d’identité SNCF m’en permettant librement l’accès. Les statues d’Henri Varenne, en particulier une vache limousine, me regardaient chaque jour sans esquisser le moindre mouvement. Les quatre horloges du campanile m’indiquaient s’il fallait presser le pas. Souvent, à cette époque, j’étais accompagné par un gigantesque camarade, Antonio Del Moral, fils de républicains espagnols, avec lequel nous nous réjouirions bientôt de la mort de Franco. Nous descendions ensuite un grand escalier vers les abords de la Cité populaire des Coutures, passions devant une imprimerie dont les ouvriers me donnaient généreusement des chutes de papier pour écrire mes poèmes, puis devant une épicerie en devanture de laquelle des friandises au détail nous attendaient. Le collège n’était pas loin. C’était l’annexe du lycée Gay-Lussac où mon père m’avait dit lorsque j’étais petit, alors que nous passions devant la cour enneigée où des garnements se battaient à coup de boules de neige, que je serai plus tard élève. A la télévision, cette fois en couleur, Claude François chantait Le téléphone pleure et Julien Clerc This Melody. J’allais bientôt entendre The Dark Side of the Moon chez mes cousins, en Picardie. Mais mon cœur était déjà attaché – comme celui de mes parents – à Port-Louis, en Bretagne, et je passais en boucle sur mon électrophone le 33 tours d’Alan Stivell à L’Olympia.

                En passant devant l’entrepôt de l’entreprise de plomberie Moreau, nous avions pris l’habitude d’essayer de jeter des cailloux dans un trou bien rond percé dans le mur, en hauteur. Jusqu’à ce qu’un jour, un ouvrier excédé finisse par sortir nous dire qu’il allait nous botter les fesses. Nous étions sages, alors : nous n’avons pas recommencé.

                Je ne savais pas qu’un jour, bien des années après, mon ami Bruno Gravouille, dont le père m’entraînait au tennis de table au club de La Saint-Antoine, tout proche, serait le patron de Moreau.


                Laurent Bourdelas, 20 avril 2016
























































































































(Bruno Gravouille, 19 avril 2016)