Cela avait été un succès de
l’année 2003 : en marge de « Lire à Limoges », Laurent Bourdelas
avait présenté au pavillon de l’Orangerie à Limoges son exposition
photographique « Rue d’enfance » : trente photographies sélectionnées
parmi plus de 500 prises l’été d’avant tout au long de la rue Aristide Briand,
la plus longue de Limoges, qui part de la gare des Bénédictins et va jusqu’aux
bois de la Bastide,
entre ville et campagne. Enfant puis adolescent, Laurent avait vécu juste à
côté, comme son ami et prédécesseur l’écrivain Georges-Emmanuel Clancier, qui
lui confia, à l’occasion de la visite de l’exposition : « j’ai eu plaisir à retrouver ici notre
rue d’enfance. » Les photographies étaient d’ailleurs accompagnées par
des textes d’écrivains comme Marie-Noëlle Agniau, Alain Lacouchie, Gérard
Frugier, Pierre Bergounioux ou bien encore Patrick Mialon, et de Laurent
Bourdelas lui-même (ils ont été publiés dans un n° de la revue L’Indicible frontière). Le livre d’or de
l’exposition conserve les traces de son succès, puisqu’en deux semaines, elle
accueillit plusieurs centaines de visiteurs – qu’ils connaissent ou non la rue
(à ce titre, les mots laissés par des Espagnols ou des Japonais sont
intéressants). Beaucoup d’habitants ou d’anciens habitants s’y retrouvèrent
même et y échangèrent leurs souvenirs. Marie-Noëlle Agniau écrivit un très beau
texte inspiré par cette exposition : « L’œil photographique ».
Par la suite, Laurent Bourdelas –
qui se rattache à la street photography
sans toutefois photographier les gens (après avoir commencé dans les années
1980 et 90 en réalisant des portraits et des nus) – a poursuivi ses parcours
photographiques. Ainsi, en janvier 2007, le Palais du Luxembourg a-t-il
accueilli « Le Chant d’Oradour », photographies d’Oradour-sur-Glane
et méditation sur la végétation reprenant ses droits au milieu des ruines,
puis, plus tard, la ville limousine de Saint-Yrieix-la-Perche exposa ses
clichés en plein air, sur des kakémonos.
Mais la rue Aristide Briand a
continué à l’accompagner. Professeur, il a animé un atelier d’écriture et de
photographies dont elle était le sujet avec des collégiens. La présentation de
leurs travaux au théâtre Expression 7
a connu un beau succès. Et puis, dix années après, il a
eu envie de retourner arpenter sa rue d’enfance. Et de la photographier à
nouveau. Ce qui frappe celui qui a vu la première exposition et voit ces
nouvelles photographies, c’est bien la persistance d’un « regard »
sensible au détail comme au plan large ; la volonté de rechercher des
choses déjà vues mais de les montrer autrement : ainsi de ces roses de
métal au-dessus d’une porte jadis proposées en gros plan, maintenant presque
dissimulées par un engin de travaux publics ; plus encore, le travail plus
prononcé avec les reflets et donc les superpositions improbables,
surréalistes – que regarde-t-on, que voit-on vraiment ? C’est dans ce
reflet que l’on apercevra le seul humain, son propre fils, vêtu de bleu ciel et
dédoublé.
La rue a changé : des
espaces autrefois ouverts (notamment en bordure des voies ferrées) sont
aujourd’hui inaccessibles ; des façades, des commerces, des espaces, se
délabrent ; la sociologie de la rue change ; mais elle demeure pleine
de charme, de secrets et donc de surprises. Incontestablement, c’est lui-même
que photographie Laurent Bourdelas en photographiant la rue de son enfance ;
c’est le passé heureux enfui qu’il traque ; et même sans passants, cette
artère est pleine de vie mais aussi de fantômes. Ce fut la « rue des
cheminots », comme son père et les amis de celui-ci, avec ses petits
commerces étouffés par la suite par le supermarché proche ; avec ses bars ;
avec toute une convivialité qui semble disparue : celle de l’école
républicaine, mais aussi de l’église. En plus de ses talents de photographe, ce
que nous donne à voir Laurent Bourdelas ici, c’est un idéal rétrospectif dont
il serait nostalgique.
Michel
Frugier