Il fut un
temps, cela s’est perdu, où l’on nommait âme l’habitant d’un lieu.
Combien d’âmes dans ce village ?
disait-on.
Mesure-t-on
bien ce qu’il y avait de précieux dans cette manière de dire ?
On désignait là ce qu’efface le recours à ces termes abstraits et
impersonnels que sont populations – habitants – résidents…, à savoir la
présence irréductible et fragile, sous les architectures de pierre, de bois ou
de paille, de l’humain. Je crois que cette amnésie qui oblitère sous la
quantification et la généralisation la qualité d’être, est la source de toute
barbarie. Or voilà ce que manifeste le destin tragique d’Oradour sur Glane : le principe de toute barbarie, la
négation de l’âme. On n’y a pas seulement détruit un village, massacré une
population : on y a
brûlé des âmes. Ou du moins était-ce le vœu aussi naïf qu’ignoble de ceux qui
accomplirent la lâche besogne : annuler,
annihiler, éradiquer toute présence. Mais cela ne se peut pas. Quiconque marche
ici dans la ruine déserte, qu’il croie au ciel ou qu’il n’y croie pas,
qu’importe ! S’il est
seulement attentif à ce qui ne se voit pas et ce qui ne s’entend plus, il voit
et entend dans le vide et la disparition la plus intense des présences, l’âme
qui demeure de ces hommes et de ces femmes qu’on voulut abolir. De cela rien ne
viendra à bout, sauf l’oubli. C’est à notre mémoire d’abriter désormais l’âme
subsistante de ceux d’Oradour, à nous de la protéger du vide et du froid, car,
on le sait, l’âme des vivants est la seule maison des morts. Et c’est de nous au
fond aussi qu’il s’agit, de notre âme de vivant. Nous devons d’elle donner la
preuve qui vient si tôt à manquer. C’est question d’attention. L’attention, disait Malebranche, « est la prière naturelle de l’âme ».
Jean-Pierre
SIMEON.
Poète, Ecrivain, Directeur artistique du
« Printemps des Poètes ».
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